Photographie: Louise Desnos
Florian, Dimitri, bonjour, est-ce que vous pourriez vous présenter?
Nous sommes Florian Dach (1990) et Dimitri Zephir (1992). Depuis 2016, nous formons le duo de designers dach&zephir. Notre studio est basé à Paris, et nous développons simultanément une partie de notre activité en Guadeloupe où Dimitri a grandi.
Quelle est votre pratique et depuis quand y travaillez-vous?
Nous sommes designers d’objets, diplômés de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris en 2016. Dans la foulée de notre diplôme de fin d’étude (que nous avons présenté en tant que duo), nous avons créé notre studio de design. Dach&zephir se veut un espace de création libre, abordant principalement les champs de la recherche par le design, l’édition d’objets (dont les circuits de diffusion sont très différents) et aujourd’hui, l’accessoire de mode.
Comment êtes-vous arrivés là?
Pour Florian, l’envie de faire ce métier est venue à l’âge de 13 ans, en découvrant le monde des arts appliqués lors des traditionnelles « Portes ouvertes » des écoles d’art et de design. Pour Dimitri, le design d’objets n’était pas un choix premier : il voulait être dessinateur de BD. C’est au détour d’un magazine (de design) que le déclic arrivera. Une sorte de révélation, puis fascination pour le métier qu’il abordera comme « la possibilité de donner vie au dessin. » Par la suite, nous avons suivi un cursus assez classique : un BTS design produit, puis un MASTER 2 en Ecole supérieure de design.
Quels sont les outils / médiums que vous utilisez?
Nous utilisons un panel assez large d’outils/médiums qui sont adaptés à ce que nous voulons dire en fonction des projets. Il y a, bien sûr, les outils conventionnels : modélisation 3D, maquettes, prototypes que nous développons au sein de notre atelier grâce à différents outils portatifs (scie circulaire, perceuse, poste à souder, imprimante 3D…). Et puis d’autres médiums tels que le dessin, le collage (numérique ou papier), l’écriture, les enregistrements vocaux qui constituent une matière très riche pour le projet. Tous ces médiums se complètent, se répondent. Et souvent, ce sont des combinaisons qui nous permettent d’arriver à un résultat concluant, séduisant.
Photographie: @louise.desnos
Qu'est-ce qui définit votre œuvre ?
Dès notre diplôme, qui constitue en quelques sortes les fondement de la démarche du studio, nous avons choisi de nous définir comme « chercheurs-auteurs » en design. Ce statut, si on peut le qualifier comme tel, nous permet ainsi d’embrasser une dimension de recherche et de création dans les différents projets que nous développons. L’histoire et l’héritage culturel sont abordés comme une matière première de conception riche, capable de générer un langage de formes, de matières et d’usages à l’origine d’artefacts. L’objet est donc toujours issu d’un ensemble plus vaste qui participe à sa compréhension, son appréciation. A nos yeux, cet ensemble a aussi valeur de projet/de réponse.
Travaillez-vous sur d'autres projets extérieurs au studio? En parallèle de l’activité du studio, nous avons été invités à animer des workshop dans différentes écoles. Aujourd’hui, nous sommes tous deux enseignants à l’école de Condé. Il s’agit pour nous d’un ensemble assez cohérent dans la mesure où la pédagogie et la transmission des savoirs ont toujours eu une place centrale dans notre démarche. Ces différentes échelles de « projets » permettent justement de rester vivants (ce qui répond aussi à la question posée sur la créativité).
Photographies: @rimasuu_std
Une création pour nous faire rentrer dans votre univers? Peut-être un projet qui raconte assez bien cette idée « d’objet et d’ensemble plus vaste » : c’est une commande de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris pour la création d’un objet commémoratif pour son 250ème anniversaire, fêté en 2016. Très rapidement, nous avons fait le choix de proposer un projet qui couple objet, édition et exposition. Notre réponse a été la création d’un témoin dont le dessin et les matériaux ont été pensés en miroir des périodes qui ont jalonné l’histoire de l’école. Le protocole de création consiste en une recherche au sein des archives de l’école, illustrant via une frise chronologique, sa trajectoire et son évolution depuis sa création en 1766 par Jean-Jacques Bachelier jusqu’à 2016 : des périodes et dates clés ont été isolées pour ainsi dresser une histoire composée de l’Ecole.
L’objet que l’on a appelé CAN, a pris la forme d’un témoin (de relai) rappelant la charge symbolique dont il est porteur, l’idée de transmission et de passation, et qui fait sens au sein d’une école et spécifiquement au sein de cette école. CAN se compose de différents strates qui viennent illustrer la diversité des domaines et des approches au sein de l’école. Chaque strate correspond à une période, à une date clé de son histoire, incarnée par un matériau et une technique particulière. Assemblés et liés, l’ensemble donne à voir et à lire une histoire composée de l’école, à la fois complexe et riche, mais qui lui accorde aujourd’hui son statut d’école d’art et de design. En parallèle, nous avons aussi travaillé avec le designer graphique Eddy Terki pour concevoir une édition accompagnant l’objet. Elle a permis de mettre en lumière une collection de photographies et autres documents d’archives à propos de l’Ecole, qui n’avait jamais été publiée (pour la plupart). Nous y racontons l’ensemble du process de création et de fabrication de l’objet. L’objet et son ensemble (édition, photographie) ont fait l’objet d’une exposition au Musée des Arts Décoratifs de Paris, ouvrant donc la connaissance de cette histoire à un plus grand publique. La demande initiale qui était donc de dessiner un objet commémoratif est devenue un projet plus global. Ce qui nous semblait plus pertinent en regard du poids historique et artistique de l’Ecole dans le paysage contemporain. Fêter 250 ans d’histoires n’arrive qu’une fois !
Pouvez-vous nous parler de votre processus de création?
Une grande partie de nos projets trouvent racines dans des archives historiques que nous collectons au fur et à mesure qu’ils se construisent, se densifient. Ces archives historiques sont souvent de nature très variée et prennent la forme de textes, d’articles, d’images, mais aussi de vidéos, d’audios, de discussions que nous collectons sur le terrain — au détour d’une rencontre, d’un lieu. Ces éléments de sources diverses sont ensuite associés, composés, pour parvenir à une réponse qui nous semble équilibrée, pertinente et séduisante par rapport à la demande initiale. Les vidéos peuvent devenir textes, les textes peuvent devenir des images, les images peuvent devenir dessins, avant que les dessins eux mêmes deviennent des collages ou des maquettes. Et, enfin, des projets/objets. Il y a donc beaucoup d’allers-retours avant que le projet sorte réellement de terre.
Quelles sont vos sources d'inspiration? Comment arrivez-vous à rester créatifs? Les sources d’inspiration sont multiples : un lieu, un individu, un livre, une image, etc. De manière générale, peut-on dire la vie ? Rester créatifs, c’est quelque chose qui se vit, s’expérimente au quotidien. Peut-être en restant connectés à ce qui se passe dans le monde (et le monde du design compris) à travers les journaux, les expositions, les rencontres, etc. En quelque sorte, restez vivants !
Photographies: @louise.desnos
Quels sont vos futurs projets? En ce moment, nous travaillons sur des typologies de projets très différentes :
Une résidence en Tunisie dans le cadre du FRONAT, projet appui à la valorisation de l’artisanat tunisien (partenariat avec l'Office National de l’Artisanat Tunisien & la Fondation Rambourg), où nous collaborons avec artisans/designers autour de trois artisanats : la dinanderie, l’alfa (tissage), le bijoux tunisien.
Un projet de création de dispositifs olfactifs autour de la notion du masculin(s) qui fait suite à une invitation de Double Séjour et Journal d’un Anosmique dans le cadre d’une exposition qui se tiendra en octobre 2020 (les dates sont à confirmer).
Un projet d’édition d’objets pour la maison d’édition franco-japonaise Atelier Takumi, autour de l’artisanat du ranma en collaboration avec des artisans japonais.
Une collection d’accessoires de tête qui fait suite à notre nomination pour le 35ème Festival international de mode à Hyères. Nous présenterons une toute nouvelle recherche que nous menons avec le designer textile et chercheur Antonin Mongin autour de l’artisanat du cheveu coupé, disparu au XVIIIè siècle. Le festival qui devait initialement avoir lieu en Avril 2020 a été décalé à Octobre 2020.
Selon vous quel rôle est celui d'un artiste (designer ou artisan) dans le monde d’aujourd’hui?
Sans doute de célébrer la beauté (dans toutes ses formes) et « parler de la vie » pour reprendre les mots d’Ettore Sottsass.
Un livre ou une émission à nous conseiller?
Nous avons récemment sorti un livre qui s’intitule Eloj Kréyol, Meanderings in the field of decolonial design, qui constitue le dernier numéro de la série Field Essays initiée en 2008 par l’artiste et chercheuse Belgo-luxembourgeoise Sophie Krier, et publiée à l’internationale par Onomatopee, éditeur indépendant de livres d’art et de théorie. Ce livre met en lumière une recherche, toujours en cours, que nous avons débuté en 2015 à propos de l’histoire des Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique plus spécifiquement). Un effort pour réconcilier et réactiver des lignes de vie artisanales et culturelles qui ont été négligées dans la généalogie de l’archipel des Antilles françaises, dont nous ne connaissons que trop peu la complexité et la richesse. C’est une occasion pour en apprendre un peu plus sur l’histoire créole des Antilles françaises et voir aussi de quelles façons le design, la méthodologie qu’il met en pratique, peut, à un moment donné, s’emparer de ces sujets-là.
De quoi vous ne pourriez plus vous passer?
(FD) Du café (DZ) De musique
Votre Artiste (ou designer / artisan) préféré?
Ettore Sottsass
Un compte Instagram qui vous inspire?
(FD) @craig_green (DZ) @dusttodigital
Une destination rêvée?
(FD) Nouvelle Zélande (DZ) Jamaïque
21/05/2020
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